Reportage

Alternatives à la détention obligatoire : des ripostes innovantes en Asie

05 octobre 2012

Personnes consommant des drogues dans un centre ‘05’ dans le district de Tien Lang, ville de Hai Phong, Vietnam.
Photo : ONUSIDA

Les professionnelles du sexe au Vietnam vivent dans la peur - peur du VIH, peur de la violence, peur de la stigmatisation et, plus que tout, peur des services chargés de l'application de la loi. Une étude réalisée par le gouvernement du Vietnam en 2012 sur le commerce du sexe et la migration a fait apparaître que 50 % des professionnelles du sexe déclarent avoir peur de la police. Jusqu'à il y a quelques mois, une arrestation pouvait conduire à des années d'enfermement dans un centre de détention administrative appelé centre ‘05’.

Toutefois, très récemment, l'Assemblée nationale du Vietnam a adopté une nouvelle Loi sur la gestion des sanctions administratives qui met effectivement fin à la pratique de détention des professionnels du sexe dans des centres ‘05’. Cette loi permet aussi aux consommateurs de drogues soumis à un traitement obligatoire en centre de désintoxication de disposer d'audiences sur le traitement de leurs affaires et d'une représentation juridique devant ces tribunaux.

« J'avais l'impression que mon rêve était devenu réalité lorsque j'ai entendu la nouvelle », déclare Khanh, l'une des leaders du groupe d'entraide Peaceful Place pour les professionnelles du sexe à Hanoï, Vietnam. « J'ai consommé des drogues et j'ai vendu des services sexuels. Je suis allée à six reprises dans des centres de détention. Je sais à quel point il est difficile d'y vivre et je sais aussi que ces centres [de détention] ne vous aident pas à arrêter de consommer de la drogue ou de vendre des services sexuels. »

Khanh est l'une des représentantes de la communauté invitées à partager leur expérience et à faire part de leurs besoins auprès des membres du comité de rédaction de la nouvelle loi début 2011 au cours d'un atelier de consultation communautaire organisé avec le soutien de l'ONUSIDA.

Pendant le développement de la loi, les responsables gouvernementaux et les membres de l'Assemblée nationale ont aussi fait appel au militantisme politique concerté et à l'assistance technique des agences des Nations Unies - dont l'ONUSIDA, le PNUD, l'UNICEF, l'ONUDC, l'OMS et l'UNFPA, dans le cadre de l'initiative « One UN » au Vietnam.

J'ai consommé des drogues et j'ai vendu des services sexuels. Je suis allée à six reprises dans des centres de détention. Je sais à quel point il est difficile d'y vivre et je sais aussi que ces centres [de détention] ne vous aident pas à arrêter de consommer de la drogue ou de vendre des services sexuels

Khanh, leaders du groupe d'entraide Peaceful Place pour les professionnelles du sexe à Hanoï, Vietnam

« J'apprécie énormément le soutien concerté apporté par les Nations Unies au ministère de la Justice dans le cadre du développement de la Loi sur la gestion des sanctions administratives », affirme le vice-ministre de la Justice Nguyen The Lien, vice-président du comité de rédaction de la loi. « Les Nations Unies présentent un énorme avantage comparatif pour apporter un soutien juridique au Vietnam car elles respectent toujours l'appropriation et le leadership national pour le développement des législations », ajoute-t-il.

Depuis l'adoption de la loi, l'ONUSIDA et d'autres agences des Nations Unies fournissent un appui pour le développement de réglementations d'application et pour l'alignement des politiques existantes, nécessaires pour la mise en application pratique de la loi sur les sanctions administratives.

Le ministère du Travail, des Invalides et des Affaires sociales (MOLISA), responsable de la prévention et du contrôle de la consommation de drogues et du commerce du sexe, organise un dialogue politique national visant à garantir une application cohérente des nouvelles dispositions de la loi sur le commerce du sexe. Ce ministère travaille également sur un « plan de rénovation » afin d'introduire des alternatives à la désintoxication en centre de détention. Ces alternatives comprennent des centres de traitement ouverts, conviviaux et volontaires, fonctionnant selon une approche « communautaire » du traitement. Ce modèle de traitement offrirait par exemple des services sociaux et professionnels, dont un soutien psychologique et des services de suivi, en plus des services de traitement proprement dits, comme des services de désintoxication, une thérapie de remplacement des opioïdes et une prévention des rechutes.

« En fermant les centres de détention administrative pour les professionnels du sexe et en transformant les centres de désintoxication fermés obligatoires en services de traitement communautaires ouverts, nous pensons favoriser considérablement l'élargissement des services de prévention du VIH pour les personnes qui sont le plus exposées au VIH au Vietnam. Cela accroîtra l'efficacité de la riposte nationale au VIH », déclare Tony Lisle, Coordonnateur de l'ONUSIDA au Vietnam.

Selon la surveillance sentinelle du VIH en 2011, la prévalence du VIH parmi les hommes qui consomment des drogues injectables et les professionnelles du sexe s'élevait respectivement à 13,4 % et 3 %. Une autre étude approfondie a révélé que la prévalence du VIH était de 48 % chez les hommes qui consomment des drogues injectables à Ho Chi Minh-Ville et de 20 % chez les professionnels du sexe à Hanoï, capitale du Vietnam.

« Je félicite chaudement le gouvernement et l'Assemblée nationale pour cette [action] très importante. Elle apportera des bénéfices tangibles à de nombreux vietnamiens », avance Mme Pratibha Mehta, Coordonnatrice résidente des Nations Unies au Vietnam. « Les Nations Unies espèrent que l'Assemblée nationale étudiera aussi les centres de détention administratives pour les consommateurs de drogues selon cette même perspective », précise-t-elle.

J'apprécie énormément le soutien concerté apporté par les Nations Unies au ministère de la Justice dans le cadre du développement de la Loi sur la gestion des sanctions administratives

Vice-ministre de la Justice Nguyen The Lien

La loi vietnamienne a été examinée dans le détail, avec d'autres meilleures pratiques dans la région, au cours de la deuxième consultation régionale sur les centres obligatoires pour les consommateurs de drogues en Asie et dans le Pacifique, qui a eu lieu du 1er au 3 octobre à Kuala Lumpur, en Malaisie.

Organisée par l'ONUDC, la Commission économique et sociale des Nations Unies pour l'Asie et le Pacifique et l'ONUSIDA et accueillie par l'Agence nationale anti-drogue du gouvernement de Malaisie, la consultation a rassemblé des responsables ministériels du Vietnam, de Malaisie et de sept autres pays d'Asie de l'Est et du Sud-Est. Les participants ont échangé leur expertise pratique sur la manière dont les pays peuvent envisager l'évolution de leurs cadres juridiques, vers une extension des programmes de traitement communautaires volontaires comme alternative au modèle de détention obligatoire.

À la fin de la consultation, les neuf pays présents ont décidé de continuer à réduire le nombre de centres de détention obligatoire en fonctionnement et de baisser le nombre de personnes détenues dans ce type de centres, selon un taux à déterminer par chaque pays. « Nous sommes ravis de l'intérêt considérable dont ont fait montre les pays de la région en faveur d'une évolution, bien que à des allures différentes, vers l'objectif d'un traitement communautaire et volontaire », affirme Gary Lewis, représentant régional de l'ONUDC pour l'Asie de l'Est et le Pacifique. « Cela représente un formidable pas en avant », ajoute-t-il.

En mars 2012, 12 agences et entités des Nations Unies ont publié une déclaration conjointe décisive appelant ses pays membres à fermer les centres de détention et de réadaptation obligatoires, en mettant en évidence les problèmes associés avec ces centres, dont une vulnérabilité accrue à l'infection tuberculeuse et à VIH, ainsi que l'insuffisance des protections juridiques et des examens judiciaires.