Reportage

Promouvoir le leadership des femmes dans les sciences et la santé

11 février 2018

Le 11 février marque la Journée internationale des femmes et des filles de science. L’an dernier, dans le cadre de la campagne « Droit à la santé » de l’ONUSIDA, l’Ambassadrice spéciale de l’ONUSIDA pour les adolescentes et le VIH et fervente militante de la présence des jeunes femmes dans les sciences, le Professeur Quarraisha Abdool Karim, a évoqué dans un dialogue avec sa fille le travail de sa vie et l’importance de l’implication des femmes dans la science et la santé.

Dans une conversation entre mère et fille, Quarraisha Abdool Karim (Q), Directrice scientifique associée du Centre du programme de recherche sur le sida en Afrique du Sud, et Aisha Abdool Karim (A), étudiante à l’École supérieure de Journalisme de l’Université de Columbia, parlent de la santé et de ses implications pour les jeunes femmes en Afrique du Sud.

A : En ce qui me concerne, j’ai grandi dans un environnement scientifique et la science a fait partie de mon quotidien, mais toi, comment en es-tu venue à t’intéresser à la science et à la santé ?

Q : Je crois que toute ma vie, j’ai considéré que la science et ses applications étaient des moyens d’améliorer la vie des gens. J’ai donc voulu devenir une scientifique et faire quelque chose qui aiderait les autres.

A : La science reste un domaine très masculin, comme beaucoup d’autres ; j’ai donc l’impression que tu as apporté un point de vue intéressant dans tes recherches. Dans quelle mesure penses-tu que ton expérience de jeune femme a pu influencer tes recherches ?

Q : Alors que j’étais encore relativement jeune, à 28 ans, j’ai réalisé ma toute première étude avec la première enquête en population menée en Afrique du Sud. Les données étaient très claires : les jeunes femmes présentaient un taux d’infection à VIH quatre fois plus élevé que les jeunes hommes et les femmes contractaient le VIH environ cinq à sept ans plus tôt que les hommes. Ces résultats m’ont beaucoup intriguée et j’ai passé la vingtaine d’années qui ont suivi à tenter de mieux comprendre, réellement, pourquoi les jeunes femmes étaient infectées et pas les jeunes hommes, et à quoi correspondaient certains des facteurs qui incitaient les jeunes femmes à devenir sexuellement actives.

A : Je trouve intéressant que tu aies choisi de te concentrer sur les raisons qui expliquent pourquoi les femmes deviennent sexuellement actives, car j’ai le sentiment que l’enseignement secondaire que j’ai suivi était très focalisé sur l’abstinence. Certes, nous avons reçu une éducation sexuelle sous une certaine version, mais elle n’était pas très instructive ni utile. Penses-tu qu’il y a eu des changements dans l’éducation sur les sujets tels que la santé reproductive depuis que tu as quitté l’école ?

Q : Tu sais, j’ai grandi à une époque beaucoup plus conservatrice, où il était très mal vu d’avoir des relations durant les années du secondaire et de devenir sexuellement actif. Mais je pense que les enseignants sont toujours encore très mal à l’aise quand il s’agit de parler de la santé et des choix sexuels, ainsi que des questions de santé reproductive en général en Afrique du Sud, voire, je dirais même plus, dans toute l’Afrique.

A : Je suis d’accord avec toi, je crois qu’il existe toujours cette hésitation à parler ouvertement de sexe à l’école. Alors que le sujet du sexe n’avait pas vraiment de limites à la maison, j’ai sans aucun doute suscité de la gêne chez certains de mes amis quand j’ai abordé le sujet dans nos conversations.

Q : Tu me rappelles une autre chose que j’ai apprise en travaillant avec les jeunes, c’est qu’ils n’aiment pas obtenir des informations des adultes et des personnes qui leur sont familières. Ils sont plus à l’aise quand ces informations viennent de leurs pairs. Cela montre à quel point la connaissance est importante, mais aussi la manière dont elle est considérée au sein de la communauté et comment la société dans laquelle on vit influe sur notre capacité à agir.

A : Tu parles justement du rôle de la communauté, qui va au-delà de l’éducation et des politiques. De nos jours, je crois que les gens sont de plus en plus conscients de l’intersectionnalité des thématiques, la santé ne fait pas exception. Les jeunes femmes ont été au cœur de tes recherches. Quels sont les autres facteurs qui touchent leur vie ?

Q : J’ai appris que la vulnérabilité des jeunes femmes est très largement liée aux différences de pouvoir entre les sexes au sein de la société, et que ces disparités sont très importantes dans la perpétuation de la vulnérabilité des jeunes femmes sur le plan social, économique et politique. Et cela va bien au-delà du VIH.

A : La réalité de la dynamique de pouvoir entre les sexes est un aspect que j’ai commencé à comprendre seulement quand je suis arrivée à l’université, car cela n’a jamais été une vraie question pour moi dans mon lycée de filles. Penses-tu que l’évolution vers la démocratie du paysage politique sud-africain a eu un impact sur cette dynamique des genres ?

Q : Malgré les changements politiques, la traduction ne s’est pas faite au niveau communautaire. Les jeunes femmes d’aujourd’hui doivent comprendre qu’elles vivent désormais dans un monde différent en Afrique du Sud, avec beaucoup plus d’opportunités.

A : Ce qui nous ramène à l’idée de dynamique des genres et de communauté. J’ai l’impression qu’il existe une idée répandue selon laquelle les filles sont moins indépendantes et qu’il est plus difficile, en particulier pour les jeunes femmes, de sentir qu’elles peuvent prendre leurs propres décisions quand il s’agit de leur corps.

Q : En effet, je crois qu’il existe une telle tension, et j’estime que tu es mieux placée que moi pour parler des femmes de ton âge ou plus jeunes. Autrefois, il y avait cette croyance selon laquelle les femmes devaient être ignorantes à propos de leur corps et que leur partenaire serait être capable de tout leur dire. Au contraire, je pense que pour devenir autonome, il faut en réalité connaître son propre corps. Il est extrêmement important que les jeunes femmes aient accès aux informations sur la santé. Nous devons encourager une attitude avec laquelle les jeunes femmes n’auraient plus honte de connaître leur corps. Penses-tu qu’il y ait un moyen d’agir en ce sens ?

Q : Avoir un environnement social qui soit propice à ce genre de normes est absolument impératif, car les jeunes femmes elles-mêmes disposent de peu de moyens d’action. Mais pour créer ce climat et ce contexte, il va falloir que les hommes assument davantage leurs responsabilités, que les garçons soient plus responsables d’eux-mêmes et de leur comportement.

A : L’éducation est un élément essentiel de la création d’un tel environnement et du traitement de la question de la santé. En voyant l’impact que tes recherches ont eu sur la perception du grand public, j’ai compris le pouvoir que l’information pouvait avoir et c’est en partie pour cette raison que j’ai décidé de devenir journaliste. C’est un aspect particulièrement important de notre époque, si nous devons combattre la propagation des fausses informations et détruire les mythes qui existent dans la santé et au-delà.