Reportage

La transmission du VIH filmée en direct par des scientifiques français

28 mai 2018

Une équipe de chercheurs français est parvenue à filmer le VIH en train d’infecter une cellule saine. L’ONUSIDA a rencontré Morgane Bomsel, Directrice de l’équipe de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), pour parler de cet exploit unique.

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de filmer la transmission du VIH ?
Morgane Bomsel : La transmission du VIH n’a pas beaucoup été étudiée et nous n’avions pas d’idée précise de la séquence d’événements exacte conduisant à une infection des fluides génitaux par le VIH lors d’un rapport sexuel. Nous ne savions pas non plus comment les cellules immunitaires sont infectées ni quelles sont les conséquences. La grande majorité des nouvelles infections à VIH sont acquises par la voie des muqueuses génitales et rectales ; pourtant, la couche extérieure de ces tissus, l’épithélium, varie et influe ainsi sur la manière dont le VIH pénètre dans l’organisme.

 

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

MB : La difficulté était de créer un modèle expérimental imitant les muqueuses génitales infectées par des fluides génitaux qui soit adapté à une imagerie en temps réel. Nous avons reconstitué in vitro la muqueuse urétrale de l’homme à partir de cellules humaines, dont la surface a été traitée pour apparaître en rouge, et un globule blanc infecté (un lymphocyte T, le principal élément infectieux dans les sécrétions sexuelles) traité pour apparaître en vert fluorescent, afin de produire à son tour des molécules infectieuses de VIH vert fluorescent.

Nous avons dû rendre l’ensemble fluorescent pour pouvoir le visualiser et suivre l’entrée du VIH dans les muqueuses par imagerie fluorescente en temps réel. Enfin, il a fallu concevoir un système pour permettre à la lentille du microscope d’observer le contact entre les cellules. Et bien évidemment, tout cela devait être réalisé dans un environnement extrêmement sécurisé ; nous portions tous deux paires de gants ainsi qu’un casque, une combinaison, des lunettes et un masque.

 

Quand avez-vous su que vous aviez accompli un exploit ?

MB : Nous avons crié « Eurêka » quand nous avons réussi à filmer le déversement d’une chaîne de virus, comme un fusil tirant des balles en rafale. Cela a duré quelques heures puis, comme si la cellule infectée avait perdu tout intérêt, il s’est détaché et a continué sa route.

 

Décrivez-nous le déroulement de la vidéo.

MB : Les cellules infectées par le VIH de couleur verte produisent des virus fluorescents qui apparaissent sous forme de points verts.

Ce que nous voyons, c’est la cellule infectée par le VIH qui se fixe tout contre la couche extérieure, l’épithélium, de cellules saines reconstituées de la muqueuse d’une voie génitale.

On observe ici les globules blancs du système immunitaire, les macrophages, qui, en temps normal, engloutissent les substances étrangères, les débris ou les cellules cancéreuses, en train d’engloutir les particules rouges qui se déplacent légèrement près du noyau cellulaire bleu des macrophages.

La cellule infectée par le VIH approche de la surface de la muqueuse et se dépose doucement dessus. Sous l’effet du contact, ou en raison de ce contact, la cellule infectée rassemble des virus préformés vers le contact avec la cellule (les taches jaune-vert très brillantes) puis se met à cracher ces virus préformés sous forme de virus totalement infectieux qui apparaissent sous forme de points verts.

Ces virus verts pénètrent la couche extérieure des tissus par un processus appelé transcytose, un type de transport cellulaire. Les virus entrent dans la cellule puis en ressortent, toujours infectieux, de l’autre côté de la barrière épithéliale. C’est ainsi que le VIH pénètre dans les types de globules blancs chargés de détecter, d’engloutir et de détruire les substances étrangères et finit par les infecter. Une fois à l’intérieur du noyau cellulaire, le virus s’insère dans le matériel génétique, l’ADN, et les globules censés protéger l’organisme commencent à produire des virus.

Il est intéressant de noter que la vidéo montre que la production de virus ne dure pas très longtemps. Au bout de trois semaines, les globules blancs infectés deviennent inactifs et un réservoir de globules blancs se forme.

 

Qu’est-ce qui rend le VIH particulièrement difficile à guérir ?

MB : Guérir le VIH est très compliqué en raison de la présence des globules blancs infectés inactifs. Le système immunitaire a énormément de mal à trouver et éliminer ces cellules, et elles sont difficiles à étudier pour les scientifiques. Les médicaments antirétroviraux empêchent le virus de se propager dans tout l’organisme et le système immunitaire cible les cellules qui transcrivent activement l’ADN viral. Mais à cause du réservoir, ces cellules deviennent problématiques si un patient arrête de prendre son traitement antirétroviral. Elles peuvent se réveiller progressivement, permettant au virus de se reproduire librement.