Reportage

Les ressources consacrées au suivi biologique régulier pourraient servir à financer davantage de traitements contre le VIH

11 septembre 2009

20090911_dart_story_200.jpg
Vincent a été l'un des 3316 participants à l'essai DART, il est également l'un des personnages principaux du documentaire L'histoire du programme DART sorti récemment. Photo: Medical Research Council

Avec 12 enfants et sa mère très âgée à charge, Vincent, un père de famille ougandais dans la cinquantaine vivant avec le VIH et qui élève seul ses enfants, sait que sa mort serait un véritable désastre pour sa famille. « Si j'étais mort, qu'est-ce qu'ils seraient tous devenus ? », raconte Vincent, perché sur son tabouret, les jambes étendues.

Heureusement, Vincent a survécu. Le programme DART lui a sauvé la vie, nous dit-il. Le programme DART (Développement des traitements antirétroviraux en Afrique) est le plus important essai clinique sur le VIH mené sur le deuxième continent le plus peuplé du monde.

L'essai clinique DART est récemment arrivé à une conclusion remarquable concernant les traitements de l'infection à VIH : la prise d'un traitement contre le VIH ne doit pas être nécessairement accompagnée d'un suivi biologique régulier, du moins pendant les deux premières années.

Selon James Hakim, professeur à la Faculté de Médecine de l'Université du Zimbabwe et co-chercheur du programme DART, les économistes de la santé de l'équipe DART, qui ont analysé les données de l'essai clinique, sont arrivés à la conclusion selon laquelle il serait possible de traiter un tiers de personnes supplémentaires contre le VIH en Afrique, si on ne procédait pas systématiquement à un suivi biologique onéreux. « Le défi pour les décideurs est désormais d'élargir l'accès aux traitements antirétroviraux », a déclaré le professeur.

Auparavant, on pensait qu'une personne sous traitement antirétroviral devait faire l'objet d'un suivi biologique régulier, comportant notamment une numération des lymphocytes CD4, un test qui mesure le fonctionnement du système immunitaire endommagé par le VIH.

Les résultats de l'essai DART montrent que 87% des personnes sous traitement antirétroviral ne bénéficiant pas d'un suivi biologique régulier sont toujours vivantes bien au-delà de cinq ans de traitement, soit trois points de moins par rapport à un groupe bénéficiant d'un tel suivi. Ces résultats suggèrent qu'un nombre bien plus important de personnes vivant avec le VIH en Afrique pourraient bénéficier d'un traitement, pour un montant égal à celui actuellement utilisé pour financer le suivi biologique destiné à surveiller les effets des traitements antirétroviraux.

Cela pourrait également aboutir à des traitements antirétroviraux administrés en toute sécurité et de manière efficace par des professionnels de santé formés et supervisés, dans les communautés reculées où un suivi biologique régulier est impossible en raison de coûts élevés ou de ressources insuffisantes.

Le Professeur Peter Mugyenyi du Centre conjoint de recherche clinique en Ouganda, également co-chercheur du programme DART, abonde en ce sens, en disant que les gouvernements ont maintenant la preuve que la réussite et la sécurité d'un traitement antirétroviral ne nécessite pas un suivi biologique régulier. « Cela signifie également que les traitements peuvent être administrés localement, du moment que les professionnels de santé disposent d'une formation, d'un appui et d'une supervision appropriés », a déclaré Peter, « Cela fait une énorme différence pour les gens vivant dans des régions reculées, situées à plusieurs jours de marche de l'hôpital ou du laboratoire le plus proche. »

D'après les estimations de l'ONUSIDA, un tiers seulement des 9,7 millions de personnes nécessitant un traitement contre le VIH y avaient accès à la fin de 2007. Rien qu'en Afrique, près de 4 millions de personnes ont un besoin urgent de médicaments antirétroviraux, mais les ressources sont limitées.


L'histoire du programme DART

L'essai clinique DART, dont l'objectif était de trouver une manière sûre, simple et plus économique d'administrer les traitements antirétroviraux, a débuté il y a six ans, lorsque les personnes vivant avec le VIH ont commencé à avoir davantage accès à ces traitements en Ouganda et au Zimbabwe.

Vincent a été l'un des 3316 participants à l'essai DART, tous présentant une infection à VIH sévère ou avancée sans pour autant avoir bénéficié d'un traitement antirétroviral auparavant. Il est également l'un des personnages principaux du documentaire L'histoire du programme DART sorti récemment. La narratrice elle-même, dont le mari est décédé à l'âge de 34 ans des suites de maladies associées au sida il y a 17 ans, a intégré l'essai clinique DART en Ouganda en 2003.

20090911_dart_story1_200.jpg Annie Katuregye a intégré l'essai clinique DART en Ouganda en 2003. Elle est la narratrice de L'histoire du programme DART sorti récemment. Photo: Medical Research Council

Comme tous les autres participants à l'essai clinique, Annie et Vincent ont été répartis dans l'un des deux groupes de manière aléatoire. Les personnes du premier groupe ont suivi un traitement antirétroviral et leurs médecins ont reçu les résultats des bilans biologiques trimestriels vérifiant les effets secondaires éventuels du traitement et contenant également une numération des lymphocytes CD4. Les personnes du deuxième groupe ont suivi le même traitement antirétroviral en effectuant les mêmes analyses de sang, mais leurs médecins ne voyaient pas les résultats de la numération des CD4 et ne recevaient les résultats des autres tests que lorsque ceux-ci présentaient des valeurs très en dehors des normales. Pendant toute la durée de l'essai clinique, les personnes des deux groupes ont bénéficié de soins médicaux et de tests de diagnostic gratuits en cas de maladie.

Au-delà de l'écart se limitant à 3 points dans le pourcentage de survie, 78% des personnes qui ont survécu dans le premier groupe n'ont développé aucune nouvelle affection associée au sida, contre 72% dans le deuxième groupe. Aucune différence dans l'apparition d'effets secondaires liés aux traitements antirétroviraux n'a été observée entre les deux groupes.

En outre, quel que soit le groupe considéré, le taux de survie des participants à l'essai clinique DART figure parmi les meilleurs taux enregistrés dans l'ensemble des essais, programmes ou études sur les traitements antirétroviraux menés en Afrique. Des comparaisons historiques s'appuyant sur des données issues du suivi de patients similaires en Ouganda, qui n'ont eu accès à aucun traitement antirétroviral, montrent clairement que peu de participants au programme DART auraient été encore en vie sans traitement cinq ans plus tard.

Soutenu et financé par le Conseil de recherches médicales du Royaume-Uni, l'essai clinique DART est une collaboration entre des chercheurs et des professionnels de santé africains et britanniques. L'essai avait pour but de découvrir si les stratégies s'appuyant sur le suivi biologique, utilisées dans l'administration des traitements antirétroviraux aux personnes vivant avec le VIH dans les pays riches, étaient essentielles en Afrique. Au vu des résultats, le programme DART a parfaitement atteint son objectif.