Reportage

Au Cambodge, les travailleurs du secteur du divertissement saluent les nouvelles dispositions en matière de droit du travail

12 novembre 2014

Quand Sopheap rentre du travail à 2 heures du matin, elle marche sur la pointe des pieds dans l'unique pièce de son appartement car tout le monde dort. Cette jeune mère de 35 ans se glisse dans le lit qu'elle partage avec ses deux petits garçons et profite de quelques heures de sommeil avant de se lever pour préparer le petit-déjeuner.

« C'est moi qui gagne le pain de toute la famille. Je soutiens mes fils, ma nièce et ma mère », explique Sopheap. « J'envoie également de l'argent à mes frères et sœurs ».

Tout comme d'autres mères qui travaillent de nuit, elle apprécie de pouvoir passer ses journées à profiter de moments de qualité avec ses enfants : jouer avec eux, leur faire à manger et s'occuper d'eux. La nuit, c'est sa propre mère qui prend le relais.

Sopheap travaille dans le divertissement et passe ses soirées dans un bar à bière de Phnom Penh. Elle est entrée dans ce secteur après son arrivée dans la capitale du Cambodge, il y a sept ans, bien loin de son métier de vendeuse de fruits et légumes sur le marché local de sa ville natale.

« Je gagne environ 120 dollars US par mois aujourd'hui, et c'est beaucoup plus que ce que j'avais comme vendeuse. Avant, je n'arrivais pas à joindre les deux bouts », raconte Sopheap.

Comme beaucoup d'autres travailleurs du secteur du divertissement au Cambodge, c'est sa situation financière précaire qui l'a décidée à s'installer dans la capitale. Elle explique qu'elle a eu de la chance parce qu'elle est jolie et qu'elle aime chanter. Son premier travail était de divertir les clients dans un restaurant, puis elle a été embauchée dans son établissement actuel il y a un an.

« Ce n'est pas facile. Vous savez, parfois, les hommes nous forcent à boire. Ils peuvent nous harceler et même devenir violents. Mais j'ai de la chance parce que mon patron est compréhensif. Quand on ne se sent pas bien, il nous laisse même prendre un congé maladie », explique Sopheap.

Le congé maladie est l'un des droits de base des travailleurs reconnu par le Code du travail cambodgien, mais jusqu'à récemment, peu d'entre eux y avaient droit dans le secteur du divertissement. Aujourd'hui, le congé maladie est reconnu comme un droit pour les travailleurs de ce secteur. Cette reconnaissance fait suite à une décision prise le mois dernier par le Ministère cambodgien du Travail et de la Formation professionnelle en vue de la publication d'un nouveau règlement ministériel qui appelle à veiller à la sécurité et la santé professionnelles et à protéger les droits de tous les travailleurs du secteur du divertissement. Au Cambodge, ce terme de « travailleurs du secteur du divertissement » couvre toutes les personnes qui travaillent dans les hôtels, restaurants, maisons d'hôtes, établissements de karaoké, discothèques, bars à bière, casinos et salons de massage, entre autres lieux. Même si Sopheap précise qu'elle ne pratique pas le commerce du sexe, il est généralement reconnu que ce type de travail peut conduire à la vente de services sexuels.

Ce changement a été salué par les représentants syndicaux. « Le gouvernement a fini par reconnaître que les travailleurs du secteur du divertissement étaient véritablement des travailleurs comme les autres et devaient être protégés par le droit du travail », explique Chan Dyna, qui représente le Réseau national des travailleurs du secteur du divertissement.

Nombreux sont les travailleurs de ce secteur qui subissent des conditions de travail difficiles, avec des horaires à rallonge, un salaire de misère et un harcèlement sexuel. Les employeurs exigent également souvent le versement de pénalités par leurs salariés lorsqu'ils arrivent en retard ou tombent brusquement malades, piégeant ainsi les travailleurs qui tentent de régler leurs dettes. Les nouvelles réglementations interdisent de telles pénalités, de même que tout type de travail forcé ainsi que la consommation imposée d'alcool et de drogues et les avortements non consentis, ce qui permettra de créer un environnement favorable pour les travailleurs du secteur du divertissement afin qu'ils puissent bénéficier d'une éducation à la santé et accéder aux services de santé.  

L'Organisation internationale du travail (OIT) collabore avec le gouvernement cambodgien pour former tous les inspecteurs du travail sur les nouvelles réglementations d'ici juin 2015. Ce programme de formation inclut non seulement la formation en matière de sécurité sur le lieu de travail et de droit du travail, mais aussi la prévention du VIH et la lutte contre la stigmatisation et la discrimination des travailleurs du secteur du divertissement qui vivent avec le VIH.

« Cette récente évolution positive du droit du travail pour les travailleurs du secteur du divertissement est l'aboutissement concret de tout le travail effectué autour du VIH », explique Richard Howard, Spécialiste du VIH et du sida au Bureau régional de l'OIT pour l'Asie et le Pacifique.

Grâce à leur participation aux programmes de lutte contre le VIH, les travailleurs du secteur du divertissement ont appris non seulement à prévenir et atténuer l'impact du VIH, mais aussi à faire valoir leurs droits sexuels et reproductifs et leur droit à la protection sociale.

« Le mouvement de lutte contre le VIH a permis l'émancipation des femmes. Il a permis de créer une base de solidarité et est devenu une plate-forme pour la défense des droits au sens plus large », déclare M. Howard.

Sopheap est aussi pair-éducateur et partage des informations sur le VIH avec d'autres travailleuses du secteur du divertissement. « Nous sommes confrontées à beaucoup de stigmatisation et de discrimination. J'espère que les nouvelles réglementations inciteront les gens à nous respecter en tant que professionnelles », déclare-t-elle.