Reportage

La contestation des lois discriminatoires devant les tribunaux dans les Caraïbes

01 mars 2019

Dans la nuit du 6 février 2009 à Georgetown, au Guyana, sept femmes transgenres sont arrêtées par la police et mises en cellule pour tout le week-end. Le lundi suivant, devant le tribunal correctionnel de Georgetown, elles apprennent qu’elles sont accusées de « travestissement ». Elles plaident alors coupables, sont condamnées et doivent chacune payer une amende, non sans avoir été réprimandées par le juge qui leur reproche d’être « dans la confusion à propos de leur sexualité ».

Avec le soutien du projet de défense des droits U-RAP de la Faculté de droit de l’Université des Indes occidentales, le groupe décide ensuite de contester ces lois guyaniennes du XIXe siècle qui interdisent aux hommes de s’habiller en femme et aux femmes de s’habiller en homme « à des fins inappropriées ». Le 13 novembre 2018, l’instance d’appel ultime du Guyana, la Cour de Justice des Caraïbes (CCJ), conclut à l’unanimité que cette loi viole la Constitution du Guyana et qu’elle est donc caduque.

« Personne ne devrait voir sa dignité ou ses droits humains ainsi bafoués, simplement à cause de sa différence », déclare à cette occasion le Président de la CCJ, Adrian Saunders.

Pour Tracy Robinson, professeur de droit et Coordinatrice du projet U-RAP, il s’agit d’une étape dans la lutte contre les inégalités de pouvoir et pour l’égalité des chances pour de nombreuses populations des Caraïbes. 

« Les lois ne s’appliquent pas de la même façon pour tout le monde : ceux qui ont le moins de ressources et les plus marginalisés sont les plus exposés au risque. Les femmes trans ne sont pas les seules dont la vie est anéantie par l’action ou l’inaction de l’État. Il existe beaucoup d’autres exemples dans lesquels nous laissons de côté et nous excluons ceux qui font partie intégrante de nos sociétés », explique Mme Robinson.

Le VIH est l’une des manifestations de la manière dont les communautés vulnérables sont laissées pour compte. Dans cette région, la prévalence du VIH au sein des populations clés est beaucoup plus élevée qu’au sein de la population adulte en général. Par exemple, chez les femmes transgenres du Guyana, l’un des quelques pays des Caraïbes qui disposent de données sur cette population, la prévalence du VIH est de 8,4 %, contre 1,7 % au sein de la population adulte en général. Les données correspondantes pour les Caraïbes indiquent que la prévalence du VIH chez les hommes gays et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes est comprise entre 1,3 % et 32,8 %. La combinaison entre lois discriminatoires, stigmatisation et discrimination, ainsi que l’absence relative de services accueillants pour les membres des populations clés, contraignent les gens à vivre dans la clandestinité, les empêchant d’accéder aux services de prévention et de traitement du VIH.

Mais dans certains pays, des partenaires agissent pour contester la conformité constitutionnelle de ces lois discriminatoires héritées de la période coloniale. À travers une affaire également soutenue par U-RAP, Caleb Orozco a contesté une loi du Belize faisant des « rapports charnels contre nature », qui incluent le sexe anal, un crime passible d’une peine maximale de 10 ans de prison. Le 10 août 2016, le Belize est devenu seulement le deuxième pays des Caraïbes indépendant du Commonwealth à décriminaliser les rapports sexuels entre hommes, et le premier à le faire par l’intermédiaire de ses tribunaux.

À la Trinité-et-Tobago, la Haute Cour a statué en faveur de Jason Jones le 12 avril 2018, en indiquant que l’activité sexuelle entre adultes consentants ne devrait pas être criminalisée. Cette décision a été citée dans la décision historique de la Cour Suprême indienne de 2018 qui a dépénalisé le sexe entre hommes.

L’ONUSIDA apporte sa contribution dans l’engagement communautaire et la communication autour de ces questions, y compris en soutenant des forums publics au Belize et à la Trinité-et-Tobago, ainsi que la sensibilisation des journalistes qui font des reportages sur la communauté transgenre au Guyana.

Pour les justiciables, ces victoires sont une étape dans un long parcours vers l’équité.

« Cela permet de susciter la communication entre les familles et leurs proches lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres. Cela encourage les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres à sortir de l’ombre. Cela contraint les institutions à réfléchir à leurs pratiques administratives et à la discrimination qu’ils justifient sur la base de ces lois. Cela oblige les personnes homophobes à reconnaître que la constitution couvre tout le monde », déclare M. Orozco.

Gulliver Quincy McEwan, plaignante et co-fondatrice de Guyana Trans United, conclut en disant : « C’était très important pour nous d’être entendues et d’obtenir justice ».