Reportage

Étude NAIIS : le rôle de l’ONUSIDA pour une meilleure compréhension de l’épidémie de VIH au Nigeria

22 mars 2019

Au bout de six mois de collecte de données et de trois mois d’analyse, le Président du Nigeria, Muhammadu Buhari, a annoncé les résultats de l’étude NAIIS (Nigeria National HIV/AIDS Indicator and Impact Survey – Étude nationale d’impact et indicateurs sur le VIH/sida pour le Nigeria) en mars 2019. D’un budget de 100 millions de dollars environ et portant sur plus de 200 000 personnes, l’étude NAIIS a été réalisée par 185 équipes d’enquête chargées de recueillir les données, soit la plus grande étude spécifique au VIH de l’histoire de la riposte mondiale à l’épidémie.

Au Nigeria, trois types d’enquête ont été menés par le Département VIH/sida du Ministère fédéral de la Santé, afin de déterminer la prévalence du VIH et de suivre les tendances de l’épidémie de VIH dans le pays :

  • l’enquête de vigilance du VIH (HSS – HIV Sentinel Survey), généralement effectuée tous les deux à trois ans auprès des femmes dans les services prénataux, et qui détermine la prévalence du VIH chez les femmes enceintes ;
  • l’enquête nationale sur la santé reproductive (NARHS – National Reproductive Health Survey), menée tous les cinq ans au sein de la population générale ; et
  • l’enquête de surveillance biologique et comportementale intégrée (IBBSS – Integrated Biological and Behavioural Surveillance Survey), majoritairement utilisée pour surveiller la prévalence du virus et les tendances comportementales au sein des populations clés.

Les dernières HSS et IBBSS ont eu lieu en 2014, tandis que la dernière NARHS s’est tenue en 2012. Ces sources de données ont été les principales sources pour les études relatives à la riposte au sida dans le pays.

Entre 2012 et 2014, des progrès considérables ont été accomplis dans la riposte au sida au Nigeria. Le nombre de sites fournissant un traitement antirétroviral a doublé, le nombre de sites proposant des services de prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant a été multiplié par huit, et le nombre de sites de dépistage et de conseil pour le VIH a été multiplié par quatre. Selon les chiffres du gouvernement, 6,7 millions d’adultes ont bénéficié de conseils et de dépistages du VIH en 2014, soit une augmentation de 65 % par rapport à l’année précédente. Le dépistage du VIH chez les femmes enceintes a également doublé en 2014 par rapport à 2013. De même, le nombre de personnes vivant avec le VIH sous traitement antirétroviral a connu une forte hausse.

Toutefois, malgré ces progrès, on n’observe aucune évolution correspondante dans les statistiques concernant la couverture du traitement antirétroviral chez les personnes vivant avec le VIH. Les accomplissements nationaux dans la riposte au sida ont été faibles par rapport aux objectifs, et les responsables de la mise en œuvre des programmes ont signalé des difficultés dans le recensement des personnes vivant avec le VIH ayant besoin de services. Une conclusion possible serait donc que le fardeau du VIH n’était pas aussi élevé que les estimations le laissaient penser sur la base des données disponibles en matière de prévalence du VIH.

Le Dr Bilali Camara, ancien Directeur national de l’ONUSIDA, a longtemps plaidé pour une expansion de la surveillance de l’épidémie dans le pays.

« Lorsque j’occupais le poste de Directeur national de l’ONUSIDA au Nigeria, je me suis vite rendu compte que nous n’avions pas un tableau complet de l’épidémie de sida dans le pays », explique le Dr Camara. « J’ai longtemps fait pression pour que la surveillance soit étendue, et je suis très content qu’avec cette nouvelle étude, nous ayons désormais une meilleure compréhension de l’épidémie de sida au Nigeria, ce qui nous permettra de mieux réagir dans les endroits et auprès des personnes où les besoins sont les plus importants ». 

En effet, la persévérance du Dr Camara a porté ses fruits.

En juillet 2015, l’Agence nationale pour le contrôle du sida (NACA), sous le leadership de son Directeur général de l’époque, le Professeur John Idoko, décide qu’il est impératif de mieux comprendre l’épidémie de VIH au Nigeria. La NACA met alors en place un comité national des parties prenantes, composé du chef du Programme national de contrôle du sida et des IST, du Directeur national de l’ONUSIDA, du représentant de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), du Coordonnateur du Plan présidentiel américain d’aide d’urgence à la lutte contre le sida (PEPFAR), de la société civile et d’autres participants, qui décide de procéder à une triangulation de données issues de sources diverses.

« La nécessité d’une étude est d’abord une initiative menée sous mon leadership, mais nous avons reçu un immense soutien de la part du Dr Camara. À l’époque, le siège de l’ONUSIDA était même prêt à envoyer son Directeur chargé de l’information stratégique au Nigeria », raconte le Professeur Idoko.

De nombreux pays sont passés à une approche localisation géographique – population, qui permet de faire en sorte que les services anti-VIH atteignent les personnes et les lieux où les besoins sont les plus élevés. Ce type d’approche nécessite des données de niveau granulaire, qui n’étaient généralement pas disponibles au Nigeria. En 2016, l’équipe d’information stratégique de l’ONUSIDA pour le Nigeria, dirigée par le Dr Gatien Ekanmian, est chargée d’élaborer une méthode étayée par des données probantes servant à estimer le fardeau du VIH au niveau local. Durant ce processus, une analyse plus approfondie des résultats des différentes études met en lumière une série de problèmes concernant les enquêtes HSS :

  • le nombre de sites sentinelles est trop limité pour assurer une couverture géographique représentative sur le plan national, au regard de la démographie du pays ;
  • les sites urbains sont surreprésentés ;
  • les sites ruraux sont généralement sous-représentés ;
  • il y a souvent plus de sites urbains que de sites ruraux dans de nombreux États, de telle sorte que les résultats des HSS reflètent davantage l’épidémie de VIH en ville que l’épidémie en zone rurale chez les femmes enceintes.

L’analyse épidémiologique de l’ONUSIDA pour le Nigeria conclut alors que les enquêtes HSS et NARHS ne donnent plus d’informations épidémiologiques suffisamment précises. Il est recommandé de procéder à une refonte complète des enquêtes sur le VIH menées au Nigeria, afin de remédier aux défauts des approches et méthodes d’enquête existantes. 

Le bureau national de l’ONUSIDA rencontre alors diverses parties prenantes, notamment le Groupe des partenaires de développement sur le VIH, et présente ces observations et recommandations en se servant efficacement dudit groupe pour mobiliser le soutien du PEPFAR et du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (le Fonds mondial), entre autres.

En juin 2016, le Directeur général de la NACA conteste les dernières estimations du nombre de Nigérians vivant avec le VIH, jugeant que le chiffre de 3,5 millions est une surestimation. Il a l’occasion d’évoquer ses doutes avec des directeurs nationaux de l’ONUSIDA, le Dr Erasmus Morah et le Dr Alti Zwandor, lors de la Conférence internationale sur le sida organisée à Durban, en Afrique du Sud, en 2016. En juillet 2016, après avoir entendu le plaidoyer du bureau national de l’ONUSIDA, le nouveau Ministre de la Santé, le Professeur Isaac Adewole, et le nouveau Directeur général de la NACA, le Dr Sani Aliyu, conviennent de la nécessité d’une étude sur le VIH auprès de la population qui soit solide sur le plan épidémiologique au Nigeria. Ils approuvent les recommandations relatives à une enquête en population et s’engagent à mobiliser les ressources requises.

« Quand j’ai pris mes fonctions de Directeur général de l’Agence nationale pour le contrôle du sida, l’une des questions récurrentes posée à chaque réunion préparatoire avec les partenaires concernait la difficulté de trouver de nouveaux cas. Il était évident qu’il y avait un problème avec l’identification des cas. Était-ce parce que nous ne cherchions pas au bon endroit ? J’avais des doutes sur la qualité des données dont nous disposions… et il est impossible de contrôler une épidémie si on ne sait même pas où on en est. C’est ainsi que la priorité numéro un de mon administration a vu le jour : déterminer la véritable prévalence du VIH au Nigeria en utilisant les meilleures outils d’enquête scientifiques et techniques disponibles sur la plus courte période possible », explique le Dr Aliyu.

En novembre 2016, un examen et une triangulation des données sur le VIH au Nigeria sont commandés par la NACA, en collaboration avec l’ONUSIDA, dont les conclusions viennent une nouvelle fois soutenir l’idée d’une étude nationale afin d’élaborer des estimations plus précises de la prévalence du VIH. Un appui solide en faveur de l’étude est apporté par le gouvernement des États-Unis (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, PEPFAR, USAID et Département de la Défense) et par le Fonds mondial, qui s’engagent à financer l’étude NAIIS.

« Il était aisé de voir que le fait de corriger l’état des données au Nigeria était non seulement la bonne chose à faire, mais aussi le rêve d’un grand nombre de personnes. Heureusement, le Nigeria a pu compter sur de bons partenaires pour faire de ce rêve une réalité. La programmation et la comptabilisation des résultats sur le VIH dans le pays ne seront plus jamais pareilles », déclare le Dr Morah, actuel Directeur national de l’ONUSIDA pour le Nigeria.

Les contributions du système des Nations Unies au comité technique de l’étude NAIIS ont été portées par l’ONUSIDA, l’OMS et le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance. Avant l’annonce des résultats de l’étude, Peter Ghys, Directeur du Département Information stratégique de l’ONUSIDA, a conduit une mission technique multi-groupes au Nigeria. Cette équipe a prodigué des conseils sur l’utilisation des résultats de l’étude, sur les tendances et sur les localisations géographiques de l’épidémie, tant au niveau national que sous-national. Ils ont également fourni des recommandations techniques aux partenaires nationaux sur la gestion et la gouvernance des données, notamment en ce qui concerne la stratégie d’appropriation et de leadership par les pays quant aux résultats de l’étude, ainsi qu’une aide sur les moyens de communication à propos des changements du profil épidémiologique du VIH dans le pays.

« La genèse de l’étude NAIIS est une histoire passionnante à raconter, car elle relate en fait l’histoire de la riposte au VIH au Nigeria », conclut le Professeur Adewole.