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Discours de Winnie Byanyima, Directrice exécutive de l’ONUSIDA à l’occasion de la publication du rapport de l’ONUSIDA, Power to the people

26 novembre 2019

Introduction

Madame la ministre, Monsieur le gouverneur adjoint James Nyoro, chers collègues du système des Nations Unies. Jambo !

Vous êtes mes héros, vous, les bénévoles du secteur de la santé dans les communautés. Je suis heureuse d’être aujourd’hui parmi vous, ici, dans le comté de Kiambu au Kenya.

Je vous remercie de l’accueil chaleureux que nous a réservé votre communauté à l’occasion de la publication du rapport de l’ONUSIDA, Power to the people.

Merci à vous, les jeunes. J'exprime, en particulier, toute ma gratitude à la jeune handicapée qui vient de s’adresser à nous. Elle nous rappelle que toutes les personnes vivant avec le VIH ne se ressemblent pas. Elles sont toutes différentes et, par conséquent, nous devons adopter une approche inclusive. Nous ne l’oublierons pas. Nous allons agir en conséquence.

Je souhaite aussi exprimer mes sincères condoléances et ma solidarité aux habitants de West Pokot qui ont perdu des êtres chers et leurs biens suite à des pluies torrentielles et à des glissements de terrain. Je compatis avec votre douleur.

Publication du rapport Power to the people

Je suis ici aujourd’hui, car l’Afrique reste le continent le plus touché par l’épidémie du VIH.

Plus de 25 millions de personnes vivent avec le virus en Afrique subsaharienne, soit plus des deux tiers des 37,9 millions de cas dans le monde entier.

Je suis ici également, car de nombreux pays d’Afrique sont pionniers pour mettre fin à l’épidémie du sida. Nous sommes des héros, nous luttons contre l’épidémie.

Au Kenya, les décès liés au sida ont reculé de plus de 50 % depuis 2010 et les nouvelles infections au VIH de 30 %. C’est extraordinaire d’arriver à de tels résultats en si peu de temps.

Aujourd’hui, je suis en mesure d’annoncer que, dans le monde, 24,5 millions de personnes vivant avec le VIH ont désormais accès à un traitement qui leur sauve la vie. Il s’agit d’une excellente nouvelle et d’un grand pas en avant.

Rejoindre le marathon pour mettre fin au sida

Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres pour moi.

Je présente en effet mon premier rapport de l’ONUSIDA.

Au travers de ce nouveau document, je rends hommage aux familles et aux communautés dévastées par le sida, aux groupes de citoyennes et aux organisations communautaires qui ont créé une mobilisation et transformé la riposte au sida. Merci beaucoup. Nous vous devons énormément.

Dans les villages de mon pays, les femmes se sont regroupées, ont acheté des casseroles et des couvertures, ont pris soin les unes des autres, ont enterré les morts et elles n’ont laissé personne souffrir seul. Ce sont les femmes de nos communautés qui ont fait cela.

Aujourd’hui, je promets que l’ONUSIDA va prendre de grandes mesures et un nouveau cap.

Lutter contre les inégalités et la pauvreté

Le premier aspect consiste à s’attaquer aux inégalités et aux injustices qui favorisent l’épidémie de VIH.

Le sida meurtrit les personnes vivant dans la pauvreté. C’est un problème pour tout le monde, mais en particulier pour les plus pauvres.

Nous devons lutter contre cette inégalité. Nous ne pouvons pas accepter que certaines personnes obtiennent un traitement et vivent de longues années, alors que d’autres n’ont pas accès aux soins de santé et meurent du sida.

Nous devons lutter contre les inégalités, sortir les personnes de la pauvreté.

Nous devons fournir davantage de services : éducation, santé, protection sociale. Ainsi, nous mettrons fin au sida.

L’égalité des sexes et les droits des femmes sont essentiels

Nous devons promouvoir les droits des femmes si nous voulons mettre fin au sida. Par conséquent, le second aspect dans notre course contre l’épidémie consiste à nous attaquer aux inégalités entre les sexes.

Malgré les progrès en matière de prévention et de traitement, le VIH reste la première cause de mortalité dans le monde pour les femmes âgées de 15 à 49 ans.

Chaque semaine, 6 000 nouvelles jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans sont infectées par le virus.

En Afrique subsaharienne, le taux de contamination au VIH est beaucoup plus élevé chez les jeunes femmes et les filles que chez les hommes et les garçons.

Là-bas, les jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans ont deux fois plus de risques de vivre avec le VIH que les hommes du même âge.

Nous devrions avoir honte de ces chiffres.

Cette injustice basée sur le genre a des conséquences tragiques. Pourquoi les jeunes femmes sont-elles plus vulnérables ?

Si nous souhaitons tenir nos promesses, nous devons mettre un terme aux rapports déséquilibrés entre les genres qui accentuent l’exposition et la vulnérabilité au VIH.

Nous devons devenir les hérauts de l’égalité des sexes et autonomiser les jeunes femmes et filles afin de transformer nos sociétés.

Dans le monde entier, une femme sur trois sera victime de harcèlement sexuel ou physique au cours de sa vie.

Dans beaucoup trop de nos communautés, la première expérience sexuelle d’une femme est marquée par la violence et a lieu sous la contrainte. C’est une réalité.

Hier, nous avons lancé une campagne de 16 jours contre la violence basée sur le genre. Chaque jour, nous devrions nous engager en faveur de l’égalité pour les femmes et les filles afin de mettre un terme à leur vulnérabilité face à aux violences.

Ici, au Kenya, je suis préoccupée par le taux de féminicides.

Aucune semaine ne se passe sans que les médias relatent l’histoire d’une femme, souvent d'une jeune femme, tuée par son partenaire.

Nous devons nous engager pour ces femmes, demander justice et mettre fin à la situation d’impunité. Le monde doit devenir un endroit sûr pour chacune d’entre nous.

L’ONUSIDA va accorder une attention accrue à la lutte contre les lois, traditions, cultures et pratiques qui autorisent et perpétuent la violence basée sur le genre. Le corps d’une femme n’appartient qu’à elle.

Il est urgent pour nous de garantir que toutes les femmes et filles, quel que soit leur âge, aient librement accès aux services de santé de la reproduction et sexuelle.

Nous ne pouvons pas accepter que des millions de femmes n’aient pas à leur disposition de moyens de contraception, car nous savons pertinemment que ce droit est essentiel à leur autonomisation dans tous les aspects de leur vie.

Nous faisons également du tort à des millions de jeunes qui n’ont toujours pas accès aux services fondamentaux de santé dont ils ont besoin : préservatifs gratuits, test du VIH sans autorisation parentale et prophylaxie pré-exposition.

Par ailleurs, garantir que les filles demeurent scolarisées réduit leur risque d’infection au VIH. Nous devons nous assurer que l'ensemble des jeunes puisse rester à l’école, et que chaque établissement fournisse une éducation sexuelle complète et de qualité afin que ces jeunes aient des connaissances sur leur corps et leur santé.

L’ONUSIDA et ses coparrainants : le Fonds des Nations Unies pour la population, l’Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, ainsi que le Fonds des Nations Unies pour l’enfance, vont s’engager en faveur des femmes et des filles, en particulier en Afrique.

Droits humains

Les droits humains sont le troisième aspect que je nous demande de prendre en compte aujourd’hui.

Les droits humains et civiques des femmes et filles, gays et autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, travailleur(se)s du sexe, ainsi que des personnes transgenres, consommatrices de drogue ou incarcérées sont bafoués.

Sans juger ces populations, nous devons nous assurer qu’elles ont accès aux services liés au VIH afin de pouvoir mettre fin à cette maladie. Nous devons les considérer comme des citoyennes et des citoyens à part entière jouissant de leur droit à la santé et profitant de services qui les protègent du VIH ainsi que leurs partenaires.

Un tiers des populations clés ne connaît pas son statut sérologique.

Dans de nombreux pays, nous constatons que des lois continuent de pénaliser les populations clés ou de discriminer les personnes vivant avec le VIH. Par conséquent, elles doivent entrer dans la clandestinité et se cacher, et perdent ainsi leur droit à la santé.

Les mesures répressives, les restrictions et les campagnes visant les groupes gays, bisexuels, transgenres et intersexuels sont inacceptables.

On continue de juger et de condamner des jeunes pour leur identité et leur orientation sexuelle.

Nous n’arriverons jamais à mettre fin au sida, sauf si les droits humains sont garantis à tous et à toutes, notamment aux populations clés.

Financements et ressources

Malgré les progrès réalisés ces dernières années, les ressources disponibles pour mettre fin à l’épidémie du sida ne suffisent toujours pas. Les pays pauvres continuent de rencontrer des difficultés pour financer leurs besoins : santé, éducation, routes, eau, équipements sanitaires.

La santé devrait avoir la priorité absolue. Nous n’arriverons en effet pas à aller de l’avant sans une population en bonne santé.

Deux tiers des pays d’Afrique font toujours payer les soins et des millions de personnes vivent dans la peur de tomber malade, ce qui pourrait les précipiter dans l’extrême pauvreté.

Malgré l’engagement international pour mettre en place la couverture sanitaire universelle, la part de la population mondiale payant elle-même des frais de santé aux conséquences funestes n’a fait qu’augmenter au cours des cinq dernières années. La santé ne devrait pas être un privilège réservé aux riches, elle devrait être un droit pour tous et toutes.

La dette publique, quant à elle, dépasse 50 % du produit intérieur brut dans la moitié des pays d’Afrique subsaharienne. Disposant d’une faible marge de manœuvre budgétaire, les gouvernements doivent trouver des moyens de financer leur riposte au VIH sur le long terme. Nous souhaitons collaborer avec eux pour trouver des solutions, libérer une marge de manœuvre budgétaire et les aider à gérer leurs priorités alors que leur budget est impacté par le remboursement de la dette.

Au cours de la reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme organisée il y a peu, les pays et les fondations ont fait une avance financière historique en vue de mettre fin au sida. Toutefois, il reste encore fort à faire pour garantir que chaque dollar, euro et shilling soient utilisés à bon escient.

Dans de nombreux pays à revenu intermédiaire, les gouvernements payent des milliers de dollars en plus pour la même qualité de médicaments mis à disposition des pays à faible revenu pour seulement quelques centimes par jour. Cela est inacceptable. Nous allons tout faire pour réduire cette facture.

L’accès universel à des soins de santé de qualité n’est pas une marchandise, c’est un droit humain.

Conclusion

Je ne sous-estime pas les défis qui nous attendent, mais je suis impatiente de voir les progrès qui seront faits pour les populations. Nous marchons sur les traces des personnes qui ont lutté avant nous. Nous nous devons de réussir.

Les points que je viens d'aborder exigent des changements urgents.

Des changements dans notre conception du possible et de l’impossible.

Offrir des soins de santé à tous et à toutes, ce n’est pas impossible.

Des changements sur la rapidité de nos actions.

Des changements dans la manière dont nous travaillons en tant qu’ONUSIDA. Nous devons nous regarder dans le miroir.

Mais gardons une conviction : nous pouvons mettre fin au sida.

J’ai perdu des êtres qui m’étaient chers.

Ouvrons la voie à un avenir d'accès universel à la santé.

Madame la ministre, mesdames, messieurs les activistes qui êtes ici aujourd’hui, mes vœux de réussite vous accompagnent. Vous avez le soutien de l’ONUSIDA.