Reportage

La Cour suprême des États-Unis dénonce une politique imposant aux groupes de lutte contre le sida de s'opposer à la prostitution pour bénéficier des fonds du gouvernement américain

21 juin 2013

Chuck Cloniger, Directeur clinique (à droite), recevant son patient, Tanesh Watson, pour des conseils médicaux au St. James Infirmary de San Francisco, un organisme de services médicaux et sociaux pour les anciens et actuels professionnels du sexe de tous genres, le 14 juin 2012 en Californie.
Photo : ONUSIDA/K.Hoshino

Le 20 juin 2013, la Cour suprême des États-Unis a dénoncé la section 7631(f) de la Loi des États-Unis de 2003 sur le leadership contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme (loi sur le leadership). Cette disposition, que la Cour a baptisée « exigence politique », prévoit que les fonds mis à disposition dans le cadre de la loi sur le leadership ne peuvent « apporter une aide à un groupe ou une organisation quelconque qui n'applique pas une politique explicitement opposée à la prostitution et au trafic sexuel ».

La Cour suprême des États-Unis a statué ainsi en réponse à une plainte déposée le 23 septembre 2005 par 5 organisations de la société civile contre cette disposition et son impact négatif sur leurs efforts de lutte contre le VIH. Ces organisations sont les suivantes : Alliance for Open Society International, Open Society Institute, Pathfinder International, Global Health Council et InterAction.

La Cour suprême a affirmé que cette exigence politique viole le Premier amendement de la Constitution des États-Unis, qui protège la liberté d'expression. Plus précisément, la Cour a indiqué que cette « exigence politique impose comme condition pour l'obtention d'un financement fédéral l'affirmation d'une croyance qui, de par sa nature, ne peut être limitée au champ d'application du programme du gouvernement ». La Cour a souligné que « le Premier amendement interdit au gouvernement d'imposer aux gens ce qu'ils doivent dire ».

Commentant la décision de la Cour, Purnima Mane de Pathfinder International a déclaré : « Ce fut une longue et pénible bataille, mais nous sommes ravis que la Cour ait eu le courage de défendre notre capacité à nous engager auprès des professionnel(le)s du sexe de manière à pouvoir mieux mettre en place des programmes qui les protègent, eux et leurs clients, contre le VIH ».

Les organisations avaient affirmé, entre autres arguments, que l'adoption d'une politique s'opposant explicitement à la prostitution risquait de diminuer l'efficacité de certains de leurs programmes anti-VIH en compliquant leur travail auprès des professionnel(les) du sexe, une population davantage exposée au risque d'infection à VIH.

Dans son rapport de 2012, la Commission mondiale sur le VIH et le droit faisait déjà remarquer : « L'engagement met les bénéficiaires dans une situation difficile. S’ils ne le signent pas, les fonds pour contrôler et lutter contre le VIH leur seront refusés. S’ils le signent, ils sont empêchés d’apporter toute aide aux travailleurs du sexe pour la prise en main de leur propre vie ».

Les professionnelles du sexe sont 13,5 fois plus susceptibles de vivre avec le VIH que les autres femmes en âge de procréer dans les pays à revenu faible et intermédiaire. En Afrique subsaharienne, région où la prévalence du VIH est la plus élevée, la prévalence globale du virus chez les professionnel(le)s du sexe est de 36,9 %.

L'implication et l'autonomisation des professionnel(le)s du sexe au regard des services de prévention, de traitement et de soins anti-VIH se sont avérées très efficaces pour la réduction des infections à VIH aussi bien chez les professionnelles du sexe qu'au sein de la population adulte en général. « La fin de cette exigence représente une victoire significative pour les professionnel(le)s du sexe et leurs défenseurs à l'échelle globale. Nos contributions à des ripostes efficaces au VIH sont désormais reconnues », a déclaré Ruth Morgan-Thomas du Global Network of Sex Work Projects.

La société civile se montre ainsi sous son meilleur jour, défendant la santé pour tous à l'échelle globale. Aucune population, notamment les professionnel(le)s du sexe, ne doit être laissée de côté dans nos efforts pour mettre un terme à l'épidémie de sida

Michel Sidibé, Directeur exécutif de l'ONUSIDA

Compte tenu de l'importance de cette affaire pour la riposte mondiale au sida, le Secrétariat de l'ONUSIDA y a pris part en qualité d'amicus curiae (ami de la Cour). À ce titre, l'ONUSIDA a apporté des preuves en termes de santé publique et des arguments liés aux droits de l'homme en faveur d'un accès élargi aux financements et aux ressources pour les organisations engagées dans les services de prévention, de traitement, de soins et d'appui en matière de VIH avec et pour les professionnel(le)s du sexe. Les principaux points soumis à la Cour suprême par l'ONUSIDA ont été les suivants : 1) les professionnel(le)s du sexe comptent parmi les populations les plus touchées par le VIH ; 2) l'engagement auprès des professionnel(le)s du sexe est essentiel à une riposte efficace au VIH ; et 3) toute riposte se voulant efficace nécessite un financement adéquat de programmes conçus pour assurer la prévention, le traitement, les soins et l'appui anti-VIH pour les professionnel(le)s du sexe.

Michel Sidibé, Directeur exécutif de l'ONUSIDA, a salué les groupes qui se sont montrés suffisamment courageux pour contester cette disposition. « La société civile se montre ainsi sous son meilleur jour, défendant la santé pour tous à l'échelle globale. Aucune population, notamment les professionnel(le)s du sexe, ne doit être laissée de côté dans nos efforts pour mettre un terme à l'épidémie de sida ».

Le financement américain est essentiel pour la riposte au VIH

Le leadership des États-Unis et leur générosité ont joué un rôle fondamental dans les progrès réalisés par la riposte mondiale au sida ces dix dernières années. Depuis l'adoption de la loi sur le leadership, environ 45,7 milliards de dollars ont été mis à disposition pour lutter contre le VIH dans le monde. Le Plan présidentiel américain d'aide d'urgence à la lutte contre le sida (PEPFAR), autorisé par la loi sur le leadership, représente l'initiative la plus importante en matière de santé jamais prise par un pays à lui seul pour lutter contre une épidémie mondiale. Grâce aux fonds américains, l'accès au traitement anti-VIH s'est élargi dans les pays à revenu faible ou intermédiaire et des millions de vies ont été sauvées. La décision de la Cour suprême de faire supprimer cette exigence politique va grandement contribuer à étendre et améliorer encore davantage la riposte mondiale au sida.