Reportage

Journée internationale des femmes : lancement de nouveaux principes juridiques pour promouvoir les mesures de dépénalisation

08 mars 2023

La Commission internationale de juristes (CIJ), en collaboration avec l’ONUSIDA et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), a officiellement lancé un nouvel ensemble de principes juridiques formulés par des spécialistes afin d’aider à faire appliquer le droit international des droits humains dans le droit pénal. 

Les principes dits du 8 mars définissent une approche fondée sur les droits humains pour les lois criminalisant les comportements en matière de sexe, de consommation de drogues, de VIH, de santé de la reproduction et sexuelle, d’absence de domicile fixe et de pauvreté.

Ian Seiderman, directeur politique et légal de la CIJ, a déclaré : « Le droit pénal est l’un des outils les plus durs mis à la disposition de l’État pour exercer un contrôle sur les individus... à ce titre, il devrait être une mesure de dernier recours, mais dans le monde entier, on observe une tendance croissante à la surcriminalisation. » 

« Nous devons reconnaître que ces lois enfreignent non seulement les droits humains, mais aussi les principes fondamentaux du droit pénal lui-même », a-t-il continué.

Pour Edwin Cameron, ancien juge auprès de la Cour constitutionnelle sud-africaine et actuellement juge-inspecteur des services pénitentiaires sud-africains, la pertinence de ces principes est immédiate et ils sont utiles pour les juges, les législateurs et législatrices, les décisionnaires politiques, la société civile et le monde universitaire. « Les principes du 8 mars fournissent un cadre juridique clair, accessible et pratique basé sur le droit pénal international et le droit international des droits humains », a-t-il indiqué.

Ces principes sont le résultat d’un atelier organisé en 2018 par l’ONUSIDA et le HCDH avec la CIJ pour discuter du rôle des juristes dans la lutte contre l’impact néfaste des lois pénales sur les droits humains. La réunion a débouché sur un appel à élaborer un ensemble de principes juridiques pour aider les tribunaux, les législateurs et législatrices, les avocats et avocates, ainsi que les procureurs et procureuses à s’attaquer à l’impact négatif de ces lois sur les droits humains. 

Cinq années ont été nécessaires pour définir ces principes. Ces derniers reposent sur les commentaires et les analyses de plusieurs spécialistes et parties prenantes. Ils ont été finalisés en 2022. Ils portaient dans un premier temps sur l’impact des lois pénales interdisant les droits et la santé de la reproduction et sexuelle, les rapports sexuels consentis, l’identité de genre, l’expression de genre, la non-divulgation du statut sérologique, l’exposition au VIH et la transmission du virus, la consommation et la détention de drogues à usage personnel. Plus tard, la contribution de la société civile et d’autres parties prenantes a permis d’étoffer cette liste avec la criminalisation liée à l’absence de domicile fixe et à la pauvreté.

Le recours à outrance au droit pénal par les gouvernements et, dans certains cas, des lois pénales arbitraires et discriminatoires ont entraîné un certain nombre de violations des droits humains. Ils perpétuent également la stigmatisation, les stéréotypes de genre nuisibles et les discriminations fondées sur des motifs tels que le genre ou l’orientation sexuelle.

En 2023, vingt pays criminalisent ou poursuivent d’une autre manière les personnes transgenres, 67 pays criminalisent encore les rapports sexuels entre personnes du même sexe, 115 disent criminaliser la consommation de drogues, plus de 130 criminalisent l’exposition au VIH, la non-divulgation du statut sérologique et la transmission du virus et plus de 150 pays criminalisent certains aspects du commerce du sexe.

Dans le monde de la lutte contre le VIH, les abus et l’utilisation abusive des lois pénales affectent non seulement le droit à la santé, mais aussi une multitude de droits, notamment ceux touchant à la non-discrimination, au logement, à la sécurité des personnes, à la liberté de mouvement, à la vie familiale, à la vie privée et à l’intégrité physique, et dans les cas extrêmes, au droit à la vie. Par exemple, dans les pays où le travail du sexe est criminalisé, les travailleurs et travailleuses du sexe sont 7 fois plus susceptibles de vivre avec le VIH que dans des pays où cette activité est encadrée par la loi. Souvent, la loi et les forces de l’ordre ne protègent pas les personnes criminalisées. Pourtant, les communautés criminalisées, en particulier les femmes, sont souvent plus susceptibles d’avoir besoin de cette protection qui leur est refusée.

Christine Stegling, directrice exécutive adjointe du service de l’appui et des données de l’ONUSIDA, a déclaré : « Je salue le lancement de ces principes à l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes (JIF). Ils reconnaissent les effets néfastes que le droit pénal peut avoir, et a trop souvent, sur les femmes dans toute leur diversité. »

« Nous ne mettrons pas fin au sida comme menace de santé publique tant que ces lois pernicieuses subsisteront », a-t-elle ajouté. « Ces principes seront d’une grande utilité pour nous et nos partenaires dans les efforts que nous entreprenons. »

Le Haut-Commissaire aux droits humains, Volker Türk, a également souligné l’importance de la JIF : « Aujourd’hui, nous avons tous et toutes l’occasion de réfléchir sur les rapports de force et les systèmes dominés par les hommes. »

Il a clos son discours en affirmant : « Je suis heureux que vous ayez fait ce travail. Nous devons l’utiliser et nous devons également l’utiliser dans un contexte beaucoup plus politique lorsqu’il s’agit de contrer précisément cette dynamique des rapports de force. »

« Nous devons véritablement poser ces questions et veiller à ce qu’elles fassent partie intégrante de la définition future des droits humains », a-t-il déclaré.

En conclusion, la présidente du Réseau mondial des projets sur le travail du sexe basé au Kenya, Phelister Abdalla, a dit : « La criminalisation du travail du sexe envoie le message qu’il est possible d’abuser des travailleurs et travailleuses du sexe... Nous sommes des êtres humains et les travailleurs et travailleuses du sexe ont le droit de jouir de tous les droits humains. »