Reportage

Pour en finir avec le sida d'ici à 2030, il faut investir dans les programmes de réduction des risques pour les consommateurs de drogues injectables

10 octobre 2016

Pour en finir avec l'épidémie de sida d'ici à 2030, la riposte mondiale au VIH ne doit laisser personne de côté, y compris les consommateurs de drogues injectables. Il est nécessaire d'avoir des politiques de lutte contre les drogues et des services de prévention, de traitement, de soins et d'appui anti-VIH qui tiennent compte des droits humains et répondent aux besoins de santé des consommateurs de drogues injectables.

Les estimations montrent que, dans le monde, il existe environ 12 millions de consommateurs de drogues injectables, dont 1,6 million (14 %) vivent avec le VIH et 6 millions (50 %) vivent avec l'hépatite C. La prévalence du VIH chez les femmes qui consomment des drogues injectables est souvent plus élevée que chez leurs homologues masculins. Selon l'ONUSIDA, 140 000 consommateurs de drogues injectables ont été nouvellement infectés par le VIH dans le monde en 2014 et aucune baisse n'a été enregistrée dans le nombre annuel de nouvelles infections à VIH chez les consommateurs de drogues injectables entre 2010 et 2014.     

Le rapport de l'ONUSIDA intitulé Pour moins de risque – santé, droits humains et consommateurs de drogues indique que des lois et des politiques moins répressives à l'égard des consommateurs de drogues et une hausse des investissements dans les programmes et les services de réduction des risques se traduisent par une baisse des nouvelles infections à VIH et un meilleur état de santé, tout en apportant des bénéfices sociaux de manière plus générale. 

L'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l'ONUSIDA recommandent l'emploi de ces programmes et services sous la forme d'un ensemble complet, tel que décrit dans les Lignes directrices unifiées de l'OMS sur la prévention du VIH, le diagnostic, le traitement et les soins pour les populations clés.

La réduction des risques, ça fonctionne

Les preuves sont incontestables : la réduction des risques fonctionne. Le traitement substitutif aux opiacés a été associé à une réduction de 54 % du risque d'infection à VIH chez les consommateurs de drogues injectables et une baisse du risque d'infection par le virus de l'hépatite C, une augmentation de l'observance du traitement antirétroviral pour le VIH, une baisse des dépenses de santé non remboursées et une réduction du risque d'overdose aux opiacés de près de 90 %.

En Australie, 10 années de programmes aiguilles-seringues ont vu diminuer le nombre de cas de VIH jusqu'à 70 % et celui d'hépatite C jusqu'à 43 %. 

Les données probantes montrent aussi clairement que les lois et les politiques qui empêchent les consommateurs de drogues d'accéder aux services de santé ne fonctionnent pas. Par exemple, la surveillance policière des lieux de soins et de services de réduction des risques décourage les consommateurs de drogues injectables d'accéder à ces services.

« Accélérer la riposte au sida nécessite de défendre les droits des consommateurs de drogues d'accéder à des services de réduction des risques de haute qualité, éclairés par des données probantes, et de supprimer les obstacles à l'accès à ces services », explique Aldo Lale-Demoz, Directeur exécutif adjoint de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.

Appliquer des lois qui proposent une alternative aux poursuites judiciaires et à l'incarcération pour usage et possession de drogues pour consommation personnelle permet de réduire les effets nocifs pour la santé associés à la consommation de drogues et n'aboutit pas à une augmentation de la consommation de drogues.

Les programmes de réduction des risques pilotés par les communautés peuvent atteindre les consommateurs de drogues injectables à travers les programmes aiguilles-seringues et d'autres services et orienter vers le dépistage, le traitement et les soins pour les personnes vivant avec le VIH. Au Pakistan par exemple, le Nai Zindagi Trust, un programme de proximité piloté par des pairs, fonctionne depuis 25 ans et s'occupe d'environ 13 000 consommateurs de drogues injectables vivant dans la rue par l'intermédiaire de plus de 600 pairs-éducateurs formés.

Le problème de l'investissement

Pourtant, malgré un large corpus de preuves, seulement 80 des 158 pays dans lesquels la consommation de drogues injectables a été recensée disposent d'au moins un lieu proposant un traitement substitutif aux opiacés, et seulement 43 pays ont mis en place des programmes dans les prisons. Les programmes aiguilles-seringues sont disponibles dans 90 pays uniquement et seuls 12 pays fournissent le seuil recommandé de 200 aiguilles stériles par consommateur de drogues injectables et par an.

La combinaison entre l'indisponibilité des services de réduction des risques et une couverture inadéquate là où ils existent met en péril le progrès de la riposte au VIH. Cela revient aussi à refuser des services de santé vitaux aux millions de consommateurs de drogues injectables. 

« Lorsqu'il s'agit de consommateurs de drogues, les preuves sont nécessaires mais insuffisantes pour catalyser les engagements impératifs des gouvernements et des donateurs. La réduction des risques est une méthode de prévention du VIH qui fonctionne clairement, a la faveur des gens qui en ont besoin et coûte peu cher. Le désengagement financier n'a aucun sens, ni scientifiquement, ni moralement », déclare Daniel Wolfe, de l'Open Society Foundations.

Les investissements actuels dans les services de réduction des risques sont insuffisants. De même, le maintien des niveaux actuels ne suffira pas pour en finir avec l'épidémie de sida d'ici à 2030 et être à la hauteur des engagements pris dans la Déclaration politique de 2016 sur la fin du sida. La majorité des consommateurs de drogues injectables vivent dans les pays à revenu intermédiaire et élevé, mais les politiques actuelles des donateurs détournent l'aide internationale hors des pays à revenu intermédiaire, mettant en danger la continuité des services existants avec un risque de revirement des succès remportés à ce jour.

Il faut espérer que les gouvernements des pays touchés, la reconstitution réussie du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ainsi que de nouvelles initiatives comme le Fonds d'investissement pour les populations clés, contribueront de manière significative à l'intensification des programmes fondés sur des données probantes pour les consommateurs de drogues injectables.

« Les consommateurs de drogues injectables figurent parmi ceux qui ont été le plus laissés de côté par la riposte mondiale au VIH », déclare Mauro Guarinieri du Fonds mondial. « Nous devons admettre que le niveau de criminalisation, de discrimination et de violence auquel sont confrontés les consommateurs de drogues ne peut que se traduire par l'incitation à des comportements de prise de risque, en les excluant des systèmes d'appui sociaux et de santé dont ils ont besoin. Nous devons aller vers un traitement universel, pour tout le monde y compris les consommateurs de drogues, parce que ce sont des êtres humains comme nous ».