Reportage

Santé et sécurité : quand les professionnelles du sexe s’entraident

26 février 2019

Quittant la réunion de REVS PLUS, une association de lutte contre le sida au Burkina Faso, les femmes se saluent en se disant « À demain soir ! ». Rassemblées dans un centre d’accueil qui sert également de point de rencontre pour divers réseaux anti-VIH de Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays, elles discutaient du planning des activités prévus pour le lendemain soir : diverses opérations de dépistage VIH 'hors les murs.' 

« Nous échangeons nos expériences et nous jouons le rôle de confidentes », explique Camille Traoré (son nom a été changé), professionnelle du sexe et pair-éducatrice. Sa collègue, Julienne Diabré (son nom a été changé), vêtue d’une longue robe fluide, intervient : « Dans notre métier, c’est dur de se confier à quelqu’un, alors la confidentialité est très importante ».

Charles Somé, responsable plaidoyer à  REVS PLUS/Coalition PLUS, décrit ce groupe de femmes comme un maillon indispensable de la chaîne pour atteindre les professionnelles du sexe.

« À cause de la stigmatisation et de la discrimination, beaucoup de professionnelles du sexe se cachent et se déplacent. Les services de santé ne peuvent pas les atteindre et elles sont davantage susceptibles d’être infectées par le VIH », explique-t-il. Au Burkina Faso, la prévalence du VIH chez les professionnel(le)s du sexe est de 5,4 %, alors qu’elle n’est que de 0,8 % dans l’ensemble de la population adulte du pays.

Avec le recrutement de pairs-éducatrices qui connaissent les réalités du travail et peuvent entrer en contact avec d’autres femmes, la sensibilisation au VIH s’est accrue au sein de la communauté, selon M. Somé.

« Nous avons aussi innové en organisant des dépistages du VIH le soir dans les lieux où les professionnelles du sexe se rassemblent », ajoute-t-il. La prostitution n’est pas illégale au Burkina Faso, mais le code pénal interdit le racolage. 



Le lendemain soir, le long d’une rue plongée dans le noir, REVS PLUS installe des tables pliantes avec deux chaises à chaque table. Des petites lampes de camping à énergie solaire permettent aux pairs-éducatrices de voir dans l’obscurité et de prendre des notes. Munies de gants en plastique, les pairs-éducatrices formées s’assoient avec les femmes, leur font une piqûre au doigt et, en cinq minutes, leur donnent le résultat de leur test de dépistage du VIH.

M. Somé explique qu’au fil des années, les actions de proximité de REVS PLUS ont permis de gagner la confiance des professionnelles du sexe.

Il raconte que les pairs-éducatrices l’appellent régulièrement pour se plaindre des violences policières. « Cela va des arrestations arbitraires au vol de leur argent, en passant par des viols », explique M. Somé.

Mme Diabré décrit ses rapports avec la police. « Le jour, ils vous pointent du doigt et se montrent discriminants, tandis que la nuit ils deviennent tout mielleux pour obtenir des faveurs et si on n’obéit pas, ça tourne au vinaigre », raconte-t-elle.

Au bout d’une année de documentation sur les abus de la police avec l’aide de propriétaires de bars et des témoignages de professionnelles du sexe, REVS PLUS a pu rencontrer des responsables du gouvernement, puis de la police.

« Notre approche a attiré leur attention et nous avons lancé des sessions de formation et de sensibilisation auprès des agents de police sur la base de notions élémentaires de droit et du commerce du sexe », déclare M. Somé.

Progressivement, REVS PLUS a gagné des alliés dans chaque commissariat, afin de faciliter le dialogue en cas d’incident. En outre, toutes les professionnelles du sexe doivent maintenant avoir sur elles une carte de santé indiquant qu’elles font des bilans de santé réguliers.

Une femme nigériane portant du rouge à lèvres violet, Charlotte Francis (son nom a été changé), ajoute : « Nous avons encore des problèmes et nous les évitons, mais ça va mieux ». Elle brandit sa carte de santé bleue, que les propriétaires de bars lui demandent régulièrement de présenter, d’après elle.

En faisant visiter son bar et une série de chambres individuelles dans une cour extérieure, Lamine Diallo explique que la police ne fait plus de descentes dans son établissement. « Avant, la police embarquait toutes les femmes, et même mes clients », raconte-t-il.

Avec des fonds octroyés par le Luxembourg, l’ONUSIDA est en train de conclure un partenariat avec REVS PLUS pour élargir la formation et la sensibilisation de la police à tout le pays. Des formations ont été organisées à Ouagadougou, la capitale, et à Bobo-Dioulasso.

Aboubakar Barbari, Responsable de la mobilisation communautaire au Burkina Faso pour l’ONUSIDA, estime que ce programme joue sur deux plans. « Nous soutenons les sessions de sensibilisation pour la police et les forces de l’ordre non seulement parce que cela permet de réduire la stigmatisation, mais aussi parce que cela permet de mettre en lumière des droits humains élémentaires ».