Reportage

La première stratégie jamaïcaine à destination de la population transgenre va au-delà des questions de santé

08 janvier 2021

Imaginez que vous utilisez un système de santé qui ne sait rien sur vous en tant que personne ou sur vos besoins spécifiques. Les infirmiers et infirmières risquent de ne pas poser les bonnes questions. Les médecins risquent de ne pas penser aux solutions dont vous avez vraiment besoin. Vous pouvez avoir l’impression de ne pas être à votre place.

Voilà à quoi ressemble la vie des personnes transgenres en Jamaïque. Une nouvelle stratégie souhaite toutefois changer cela.

Avec le soutien de l’ONUSIDA et du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), TransWave Jamaica a lancé la Trans and Gender Non-Conforming National Health Strategy, la première stratégie de ce type dans les pays anglophones des Caraïbes. Ce plan quinquennal est une feuille de route visant à améliorer la santé et le bien-être des personnes transgenres tout en respectant leurs droits. Il contient des recommandations concernant le système de santé, ainsi que des changements structurels et sociétaux nécessaires pour parvenir à l’égalité d’accès aux services et aux chances pour la communauté transgenre.

« Trop souvent, les personnes transgenres souffrent chez elles ou endossent un rôle pour se rendre dans les espaces de santé publique », explique Renae Green, responsable adjointe pour les réglementations et la sensibilisation auprès de TransWave. « Nous avons besoin d’une amélioration des services de base, y compris de l’assistance psychosociale. Il faut que les personnes transgenres puissent accéder aux services de santé publique en étant elles-mêmes. »

Par le biais de l’enveloppe allouée à la Jamaïque dans le Cadre unifié du budget, des résultats et des responsabilités, l’ONUSIDA a collaboré avec l’UNFPA pour soutenir une procédure poussée d’un an comprenant des recherches, l’implication de la communauté et l’élaboration de la stratégie, dont un cadre de suivi et d’évaluation. Un comité de coordination multisectoriel composé d’organisations de la société civile, de partenaires de coopération internationale et d’administrations gouvernementales a défini la procédure d’élaboration de la stratégie.

Le VIH est un problème majeur au sein de la communauté transgenre en Jamaïque. Près de 50 % des femmes transgenres ayant participé à deux études récentes vivaient avec le VIH. Mais d’autres thèmes sont tout aussi urgents. Deux enquêtes ont révélé que près de la moitié des participants et participantes transgenres était sans emploi. Un tiers n’avait pas à manger à chaque repas. Un dixième proposait des services sexuels payés pour survivre. Une étude menée en 2020 par TransWave a révélé que la moitié de ces personnes avait été victime de violences physiques au cours de l’année passée, et 20 % d'agressions sexuelles. Plus de 80 % ont été la cible d’injures.

« Les besoins ne se limitent pas au VIH et aux soins de santé. D’autres facteurs nuisent à la capacité des personnes à se protéger, à suivre un traitement ou à éviter une contamination au VIH. Nous devons prendre en compte la personne en entier, et pas uniquement certains aspects », déclare Denise Chevannes-Vogel, chargée du VIH et du sida pour le sous-bureau régional de l’UNFPA dans les Caraïbes

« Nous apprécions d’avoir pu amener la communauté à discuter de ses besoins au-delà du VIH », souligne Mme Green.

L’équipe de TransWave s’est occupée d’évaluer les besoins de la communauté. Certaines demandes, comme l’hormonothérapie substitutive ou la réassignation chirurgicale du genre, sont spécifiques, mais d’autres concernent tous les membres. Toutes et tous souhaitent avoir accès à la santé et au logement, à l’éducation, à la formation et à l’emploi, ou avoir des porte-paroles dans les espaces de la société civile où un grand nombre cherche un appui médico-social.

« Nous n’atteindrons aucun objectif relatif à la lutte contre le sida si nous n’accordons pas la priorité à la santé globale des personnes transgenres. Ces gens meurent de violences, vivent dans la rue, n’ont pas d’emploi ni d’avenir. Même les informations sur la prévention du VIH que la vaste majorité de la population est en mesure d’obtenir au cours de l’éducation officielle ne sont pas accessibles aux personnes transgenres lorsque le harcèlement les force à quitter l’école. Ainsi, cette procédure consistait à réfléchir sur les indicateurs d’impact. À se demander ce que faudrait-il faire pour leur offrir une meilleure existence plus longue », indique Ruben Pages, conseiller pour la mobilisation communautaire en Jamaïque pour l’ONUSIDA.

Toutefois, quelles sont les chances de réussite de cette stratégie exhaustive et tournée vers l’avenir dans un pays connu pour sa société conservatrice ? Les partenaires sont optimistes. D’une part, cette stratégie demande des objectifs à long terme, y compris des réformes juridiques sur des thèmes comme la reconnaissance de l’identité de genre et la décriminalisation des rapports sexuels entre partenaires de même sexe. D’autre part, elle sert de guide pratique pour intégrer les personnes transgenres dans les systèmes et les cadres déjà existants. Une action ciblée permettrait de marquer rapidement des points.

Manoela Manova, directrice pays de l’ONUSIDA pour la Jamaïque, explique que la stratégie permettra au pays de faire un grand pas en avant pour mettre un terme au sida.

« À l’avenir, l’accent sera à nouveau mis sur des résultats de prévention, de dépistage et de traitement de grande qualité dans toutes les communautés, y compris au sein des populations clés et vulnérables », conclut Mme Manova. « C’est l’occasion pour nous de respecter notre promesse de n’oublier personne. »

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