Reportage

Bangladesh et Myanmar : dresser un état des lieux des vulnérabilités pour aider les travailleuses du sexe

12 janvier 2021

Lily est accueillie par de grands sourires à sa première étape de la journée : une des 11 maisons closes éparpillées aux quatre coins du pays que la présidente du Bangladesh Sex Worker Network visite tous les trimestres afin de faire le point avec les femmes et d’entendre leurs besoins. Même si ses visites ont été limitées ces derniers mois à cause des restrictions de mouvement en place pour lutter contre la propagation de la COVID-19, Lily sait très bien que ses consœurs font contre mauvaise fortune bon cœur et que ces sourires masquent des situations difficiles.

« Pour moi, les travailleuses du sexe sont comme des sœurs. Je partage leurs joies et leurs peines, et je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour trouver une solution à leurs problèmes », explique Lily. Au cours de la pandémie de COVID-19, Lily et 29 organisations communautaires œuvrant pour les travailleuses du sexe dans le pays ont lutté pour répondre aux appels à l’aide toujours plus nombreux. En mars, le gouvernement a proclamé la restriction de déplacement sur tout le territoire. Les travailleuses du sexe se sont alors trouvées sans client ni revenus et dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille.

« Les enfants des travailleuses du sexe ont souffert de la crise du COVID, car leurs mères n’arrivaient plus à les nourrir. En apprenant cela, nous [le Bangladesh Sex Worker Network] avons demandé de l’aide à de nombreuses organisations et au secteur privé », se souvient Lily. Les fonds récoltés suite à cet appel ont permis au réseau d’aider 2 100 travailleuses du sexe dans tout le pays. L’assistance apportée par la communauté au Bangladesh n’est pas restée inaperçue à l’étranger. Fin novembre, la BBC a salué les efforts d’une ancienne travailleuse du sexe, Rina Akter, et de son équipe de volontaires qui ont servi 400 repas par semaine à des travailleuses du sexe dans le besoin.

« Seule une minorité des travailleuses du sexe avaient de l’argent de côté, mais la plupart n’avaient rien pour survivre », explique Rahat Ara Nur, fonctionnaire technique pour le Fonds des Nations Unies pour la population au Bangladesh. « Par le biais du Fonds des Nations Unies pour la population, nous avons fourni du matériel de prévention contre la COVID-19, comme des masques et des produits pour se laver les mains, à des travailleuses du sexe. Par ailleurs, nous avons produit des messages du service public diffusés sur une radio communautaire afin de garantir que les mesures de précaution atteignent ses membres. »

Avec la fermeture des lieux de loisirs, la catégorie d’établissements à laquelle appartiennent aussi les maisons closes, certaines travailleuses du sexe ont commencé à exercer leur profession dans la rue ce qui les expose à la violence, aux rapports sexuels non protégés et aux clients ne payant pas ou peu.

Bangladesh, octobre 2019. Photo : FNUAP Bangladesh/Naymuzzaman Prince

Les travailleuses du sexe indiquent également être plus vulnérables à la violence basée sur le genre. En outre, l’absence de revenus est source de conflits et des réseaux de travailleuses du sexe signalent que des membres ont été victimes d’abus de la part de leur époux, partenaire et propriétaire de l’établissement où elles travaillent.

Certaines travailleuses du sexe se sont retrouvées sans abri suite à la fermeture des maisons closes ou ont été jetées à la rue, car elles ne pouvaient plus payer leur loyer. Les travailleuses du sexe sont nombreuses à dire qu’elles ne peuvent pas trouver d’autre emploi à cause de la stigmatisation et la discrimination. Les programmes de santé de proximité qui apportaient des services de santé sexuelle et reproductive dans les maisons closes, y compris le dépistage et la prévention du VIH, ont été à l’arrêt à cause des restrictions de déplacement.

Toutefois, cette situation n’est pas propre au Bangladesh. Dans toute la région Asie-Pacifique, des réseaux nationaux et régionaux de travailleurs et travailleuses du sexe signalent que l’épidémie de COVID-19 renforce les inégalités rencontrées par leurs membres souvent inéligibles aux services de protection sociale ou non bénéficiaires.

« Aucune aide gouvernementale n’est fournie spécifiquement aux travailleurs et travailleuses du sexe. Des aides existent pour la population générale, en particulier pour les personnes à faible revenu, mais les travailleuses du sexe ne sont pas éligibles à ces programmes de protection sociale, car cette population évolue dans l’économie informelle », explique Hnin Hnin Yu, présidente de Sex Workers in Myanmar (SWiM), un groupe non gouvernemental militant pour les droits des travailleuses du sexe.

À cela vient s’ajouter que de nombreuses travailleuses du sexe sont issues de migrations (internationales ou internes) et n’ont pas les justificatifs nécessaires ou une résidence officielle pour bénéficier des aides gouvernementales. Les critères d’éligibilité aux aides sociales (justification des revenus, justificatif de résidence, pièce d’identité nationale, cotisation à des programmes de protection sociale en place et déclaration d’impôts) sont autant de raisons pour exclure les travailleuses du sexe de l’aide gouvernementale. Une enquête en ligne menée auprès de travailleuses du sexe dans tout le pays et organisée par l’ONUSIDA et SWiM a révélé qu’aucune d’entre elles n’a reçu d’aide sociale, mis à part des fonds limités fournis par des organisations humanitaires.

« Lorsque l’aide spéciale COVID-19 du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a été débloquée, les fonds destinés aux personnes vivant avec le VIH ont pris en compte une aide alimentaire en faveur des travailleurs et travailleuses du sexe les plus vulnérables », indique M. Myo, conseiller de soutien aux communautés pour l’ONUSIDA au Myanmar. « Nous avons toutefois conscience que cette solution ponctuelle n’a bénéficié qu’à une portion infime de la population vulnérable et que nous avons besoin d’un système plus pérenne, comme une protection sociale, à destination des travailleurs et travailleuses du sexe. »

Dans ce contexte, réfléchir aux aides qui leur seraient destinées est devenu une priorité. Consciente du manque d’informations concernant la protection sociale des travailleurs et travailleuses du sexe, l’ONUSIDA en collaboration avec le Fonds des Nations Unies pour la population et le Programme alimentaire mondial envisage de mener une évaluation des besoins et de dresser un état des lieux de leurs vulnérabilités pendant la pandémie de COVID-19. Les informations livrées par cette campagne permettront d’apporter une base à l’élaboration de programmes d’aide à la subsistance, de sécurité alimentaire, d’amélioration de l’accès à la thérapie antirétrovirale, de services de santé sexuelle et reproductive, ainsi que de prévention et de riposte à la violence basée sur le genre.

Apprenant que les agences des Nations Unies allaient combiner leurs efforts pour coordonner l’élaboration d’un état des lieux des vulnérabilités et collaborer avec les réseaux de travailleurs et travailleuses du sexe, Mme Nur s’est montrée enchantée par le potentiel que pourrait receler cet outil. Il permettrait non seulement d’identifier les difficultés rencontrées par les travailleuses du sexe au cours de la pandémie de COVID-19, mais aussi d’optimiser le travail de mobilisation des ressources en faveur de programmes et de lutter contre des injustices existant avant la pandémie de COVID-19.

Hnin Hnin Yu cite ici la discrimination et les abus de la police au titre de violations endémiques des droits des travailleuses du sexe. Au cours de l’épidémie de COVID-19, les communautés ont signalé une recrudescence de la surveillance, d’abus, y compris de cas de violence physique et de racket de la part de la police. Face à cette situation, le SWiM et des membres de la communauté fournissent une assistance juridique aux travailleuses du sexe qui ont été arrêtées afin de les informer de leurs droits.

Malgré les nombreuses difficultés rencontrées par les réseaux de travailleuses du sexe et leurs membres, toutes et tous ont fait de leur mieux pour s’entraider, ce qui est une source d’inspiration pour quiconque collabore étroitement avec ces organisations. Il reste à espérer que les données recueillies au cours de l’état des lieux apporteront non seulement les preuves nécessaires pour militer en faveur d’un élargissement de la couverture des services de protection sociale et d’aide humanitaire aux travailleurs et travailleuses du sexe, mais permettront également de renforcer les programmes communautaires.

Infographic: Sex workers have rights